Prédateurs terricoles du Varroa – 2

Prédateurs terricoles du Varroa – 2

Aménagements des ruches – Capturer des pseudo-scorpions – Monitorer stratiolaelaps

Dans l’article  précédent,  je vous présentais 2 candidats à une lutte biologique contre varroa destructor.  Il s’agit de 2 prédateurs que sont le « chélifer cancroïdes » plus connu sous la dénomination de « pseudo-scorpion » et le « stratiolaelaps scimitus »

Ils sont tous les 2 chasseurs et consommateurs des varroas phorétiques.  Ils ne s’intéressent pas au couvain et donc n’atteignent pas les femelles varroas qui se sont introduites dans une alvéole qui héberge une larve prête à se transformer en nymphe, juste avant son operculation par les abeilles.

Pour être efficace, ils doivent donc idéalement être présents durant toute la saison apicole.
A  force de capturer des varroas phorétiques pour s’en nourrir, ils réduiront le nombre de femelles varroas qui pourront s’introduire dans une alvéole juste avant son operculation et y pondre ses œufs.  Ils casseront ainsi la croissance exponentielle classiquement observée du nombre de varroas dans la ruche, en l’absence des traitements médicamenteux, d’ailleurs interdits durant la miellée.  Si ces prédateurs du varroa permettent de s’opposer au développement exponentiel du nombre de varroas en cours de saison, le nombre d’abeilles porteuses de varroas phorétiques n’atteindra jamais le seuil fatidique qui condamnerait la colonie.

Après avoir fait connaissance de ces 2 auxiliaires possibles dans notre lutte contre les varroas, encore faut-il leur offrir un milieu qui peut les héberger et leur permettre de se reproduire.

Dans ce second article, j’aborderai ensuite comment trouver des pseudo-scorpions pour ceux qui le souhaitent et ont la patience nécessaire et comment monitorer le présence de stratiolaelaps dans le mélange terreau-compost au cours de l’année voir d’une année à l’autre.

  1. Adaptation des ruches / de leur support

Pour les pseudo-scorpions

Les pseudo-scorpions, fréquents dans les ruches en paille d’antan, ne se sont pas accommodés des ruches modernes.  Il est cependant possible de  leur offrir le gîte dans nos ruches à condition de renoncer au « polystyrène » et de leur fournir 2 aménagements assez simples.

Il conviendrait avant tout, d’éviter tout matériel en polystyrène (plancher Nicot) qui, par des phénomènes électrostatiques, désorientent les pseudo-scorpions.  De plus l’humidité relative des ruches en polystyrène, plus élevée que celle des ruches en bois, rebute les pseudo-scorpions.

Pour favoriser la colonisation de la ruche, il faut prévoir un bac aux dimensions équivalentes au modèle de ruche utilisé qui devra être en contact avec le sol et contenir un mélange de terreau et de matières brunes et sèches (pailles, broyat, feuilles broyées, sciure, morceaux d’écorce) sur lequel sera déposé la ruche avec suffisamment de matière pour que celle-ci soit en contact avec la grille à varroas.

Dans la ruche, il est recommandé de remplir les cadres de rives avec ces mêmes matières brunes et sèches et de les retenir en place avec un grillage à mailles fines (grillage inox – 6mm/6mm, grille à propolis), ce qui réduit effectivement le nombre de cadres destinés à l’élevage du couvain.

Outre le fait d’héberger une microfaune, dont les pseudo-scorpions, ces cadres de rives remplis de matières brunes joueront le rôle d’isolant des partitions que les apiculteurs mettent en hiver pour réduire le volume occupé par la colonie.  Le mélange paille, broyat et  autres matières brunes et sèches pourra également réguler (absorber / restituer) l’humidité produite par l’activité de la colonie.

Pour les stratiolaelaps scimiti

Le principe de base est le même que pour les pseudo-scorpions : prévoir un bac socle aux dimensions équivalentes au modèle de ruche utilisé qui devra être en contact avec le sol et contenir un mélange cette fois de terre / terreau et de compost bien digéré.

Comme pour les pseudo-scorpions, il est impératif que le grillage du plancher soit en contact étroit avec le mélange terreau + compost pour l’ensemencement de 5.000 stratiolaelaps qu’il est recommandé de fournir à chaque ruche.

Si le bac à la dimension exacte de la base de la ruche, le problème est alors le contrôle de l’humidité et l’apport  de nouveau compost pour garder le contact avec la grille à varroa.

Un bac qui se prolonge vers l’avant de la ruche ou sur le côté de la ruche permet alors à la pluie d’humidifier la partie exposée à l’air libre et par ce biais de maintenir plus facilement l’humidité nécessaire sous la ruche.

 

Aménagements communs aux 2 prédateurs

Le fait de devoir mettre le substrat contenu par le bac socle de la ruche, en contact avec la grille à varroa réduit fortement la ventilation par le bas puisque seule la porte de la ruche est ouverte et disponible pour le renouvellement de l’air dans la ruche.

Cette grille reste indispensable pour empêcher que de petits rongeurs capables de creuser un tunnel dans le sol et à travers le milieu de vie de nos auxiliaires prédateurs (terreau – matières brunes / terreau – compost mûr) ne viennent s’installer dans la ruche, à la recherche de chaleur en hiver.

Si seule la porte d’entrée permet le renouvellement de l’air dans la ruche, cela risque d’être insuffisant quand la colonie atteindra l’apogée de sa population.  Il faut donc prévoir que la ruche soit ventilée de bas en haut.

Il faut donc munir le couvre-cadres d’une ou deux fenêtres équipées d’un grillage à mailles fines (grille à propolis, moustiquaire comme décrit dans mon article paru dans « Apiculture en Wallonie » (juillet-Août 2020) qui maintient les abeilles dans leur habitat.

Par propolisation partielle de la grille, les abeilles peuvent réguler le courant d’air qui migre de la porte d’entrée vers la ou les ouvertures ménagées dans le couvre-cadres et donc réguler de manière optimale pour elles, le renouvellement d’air de la ruche.

Ce couvre-cadres sera surmonté par le traditionnel coussin isolant rempli de matières brunes et sèches (± 10 cm de haut) placé dans une hausse vide ou tout cadre de bois équivalent et d’un toit en bois avec fenêtres d’aération sur les côtés droit et gauche (n = 4) jouant le rôle d’extracteur.  Il est essentiel que l’air puisse traverser le coussin isolant : pas question donc d’utiliser un quelconque isolant synthétique faisant obstacle au passage de l’air.

Pour éviter que le contenant (tissu, toile) des matières brunes et sèches constituant le coussin isolant ne soit en contact avec la grille à propolis utilisée pour garder les abeilles dans leur habitat, j’utilise un morceau de grillage légèrement bombé. Ce grillage évite l’adhésion du tissu à la grille que les abeilles propolisent.

Ce que j’ai fait dans les ruchers que je gère !

Pour rappel, comme décrit et illustré dans « Apiculture en Wallonie » (juillet-Août 2020), toutes mes ruches Dadant 10 cadres ont été adaptées comme suit : j’ ai intercalé entre le plancher et le corps de ruche un sas ou hall d’entrée du volume d’une hausse mais sans cadres, j’ai réduit la largeur du corps de ruche DB10 cadres à 8 cadres en fixant des plaques de liège sur l’intérieur des parois latérales et je laisse en permanence, sur le corps, une hausse DB à 10 tenons, également réduite à 8 cadres qui sont donc dans l’alignement des cadres de corps.  De cette hausse, je ne prélève pas le miel afin de limiter voire d’éviter le besoin de nourrir au TOB après la récolte de juillet.

L’habitat, corps et hausse réduit à 8 cadres, offre un volume plus haut, moins large, mieux isolé et mieux ventilé de ± 67 litres, sans compter le hall d’entrée, pour abriter les abeilles, le couvain et les provisions à comparer au volume de 53 litres d’un corps de ruche DB10.

Une meilleur isolation facilite à priori le maintien de la température d’hivernage dans la grappe et donc moins de consommation de miel pour assurer cette température aux environs de 20 °C.  Un volume plus haut et moins large conduit à un déplacement vertical de la grappe pour chercher le miel et réduit les problèmes de mortalité liés aux déplacements latéraux de la grappe à la recherche de nourriture que l’on observe dans les ruches plus larges que hautes.  Quatre ruches sur 5 ruches adaptées de la sorte ont passé l’hiver 2020-2021 sans encombre avec pour seul complément nutritif 1 pot de miel fourni fin février.  Une colonie n’est pas montée dans la hausse grenier à miel pour une raison qui m’échappe et j’ai retrouvé les abeilles mortes sur le plancher.

Comme recommandé pour accueillir nos prédateurs auxiliaires, j’ai installé cette année, courant février, toutes mes ruches sur 2 rangées de 3 parpaings chacune, écartés de la largeur du plancher grillagé.  Le volume entre les 2 rangées de parpaings est rempli d’un mélange de terreau, de broyat et de compost mur dont un bon tiers est exposé à l’air libre (à la pluie ou au soleil).  Sur ce tiers exposé, j’ai placé des morceaux d’écorces. Le mélange terreau + broyat + compost est maintenu à l’avant et à l’arrière par une planche ou une dalle.

Ce système me permet facilement de tester l’humidité sous la ruche sans devoir la bouger.  Jusqu’à maintenant, je n’ai bien entendu pas dû humidifier le mélange terreau-broyat-compost, la nature y ayant largement contribué.  Le surplus d’eau pouvant descendre dans le sol, il n’y a pas d’eau stagnante dans laquelle se noieraient les stratiolaelaps.

Pour les nouvelles colonies et les nouvelles ruches, au lieu de fixer du liège sur les parois latérales pour le passage de DB10 à 8 cadres, j’ai rempli les cadres en périphérie du corps de ruche et de la hausse permanente de paille et broyat contenu par du grillage à propolis agrafé sur les 2 flancs.

Je mise donc ma lutte contre le varroa essentiellement sur le stratiolaelaps, plus facile à trouver et dont la présence est théoriquement assez facile à contrôler mais espère néanmoins, qu’à terme, quelques pseudo-scorpions migreront du sol vers la ruche, s’installeront dans les plaques de liège qui présentent pas mal d’anfractuosités accueillantes ou dans les matières brunes (paille et broyat) mis à dispositions dans les cadres latéraux des nouvelles ruches et s’y reproduiront.  Les stratiolaelaps ont été saupoudrés sur le plancher (4/5) et sur les têtes de cadres (1/5).

Ces 2 auxiliaires prédateurs du varroa ont des cycles biologiques très différents (vie courte, reproduction très rapide des stratiolaelaps et l’inverse pour les pseudo-scorpions).  Il me reste à espérer  qu’un équilibre sera trouvé, sachant que les stratiolaelaps seront, au même titre que les varroas, des proies des pseudo-scorpions.

  1. Comment trouver des pseudo-scorpions

Comme évoqué dans l’article du mois passé, je n’ai pas trouvé, via internet, où acheter des pseudo-scorpions dont on dit par ailleurs qu’ils seraient chers à la vente. Il semble qu’il faudrait de 50 à 150 pseudo-scorpions par ruche et selon le Dr Charles Schramme, ils coûteraient de 5 à 45 € pièce.  Même à 5 € pièce, cela représenterait un budget de 250 €, inenvisageable pour nous.

 Faut-il abandonner cette piste pour autant ? Non si vous avez des contacts avec des fermiers !  En effet, il faut les chercher dans les étables ou les bergeries sous la paille / le foin.  Muni de votre brosse d’apiculteur, il faut patiemment recueillir tout ce que votre brosse ramène et l’incorporer au mélange terreau – broyat sous la ruche.

Si vous êtes perfectionnistes, il y a moyen de les compter dans l’échantillon recueilli à l’aide de Berlese-Tullgren (voir https://www.massey.ac.nz/~maminor/mites.html) qui permet de séparer les animaux des débris du sol.

Un échantillon est placé sur le tamis (maille ≥ 5 mm) en haut d’un entonnoir.

Une petite lampe avec une ampoule de faible puissance chauffe et sèche l’échantillon par le haut, ce qui stimule les animaux à se déplacer vers le bas (géotaxie positive en réponse à la sécheresse).  Ce mouvement vers le bas fait finalement tomber les animaux de l’échantillon à travers le tamis dans un récipient contenant un milieu de conservation.

 

On peut alors les observer et les compter à l’aide d’un microscope numérique USB 50X à 1600X que l’on trouver à des prix tout à fait raisonnable chez un marchand d’accessoires informatique ou via un achat en ligne.

  1. Monitorer la présence de stratiolaelaps et des varroas

J’ai eut le plaisir d’avoir un contact téléphonique avec Geert Steelant, apiculteur brugeois qui utilise stratiolealaps scimitus comme seule arme pour réduire l’impact de la varroase dans ses ruches Warré depuis plusieurs années.

Selon son expérience, inutile de prévoir un saupoudrage annuel de stratiolaelaps.  Il contrôle par contre 1 fois par mois, y compris en hiver, la présence de ces petits auxiliaires dans un échantillon du mélange terreau- compost qu’il prélève sous la ruche (d’où l’intérêt de bac à compost plus grand que la base de la ruche).  Il examine cet échantillon via une camera reliée à son PC, agrandissant ainsi l’image.  Le microscope numérique trouve ici son utilité : selon Geert Steelant, tant qu’on trouve au moins 1 stratiolaelaps, il n’y a pas de raison de s’inquiéter, dans le cas contraire, vérifier … et s’il le faut, nouvel ensemencement de stratiolaelaps.

Pour ce qui est du contrôle de l’humidité, on trouve dans les jardineries de petits accessoires (humidimètres) qui permettent d’évaluer l’humidité du sol en enfonçant une sonde dans le sol.
Dans une installation comme celle que je vous ai présentée, je peux facilement contrôler l’humidité du mélange terreau-broyat-compost exposé et celle du mélange sous la ruche.

D’après Geert Steelant, il contrôle beaucoup moins souvent ce paramètre depuis que ses ruches sont posées sur des bacs support plus grand que la base de ses ruches et donc avec une partie du substrat de vie des stratiolaelaps exposé à l’air, le soleil et la pluie.

Pour ce qui est des varroas, le milieu de vie des stratiolaelaps devant être en contact avec la grille à varroa, il n’est plus possible de les compter régulièrement, en cours de saison apicole,  sur un lange.   Il faudrait donc évaluer la charge en varroa phorétique en prélevant des abeilles adultes dans la ruche et en utilisant, par exemple, du sucre glace pour détacher les varroas des abeilles ce qui permettra de les compter et de retourner les abeilles dans leur ruche (voir détails techniques dans https://www.technopole.nc/sites/default/files/ft-016-bee_shaker_et_desoperculation_version_2018_0.pdf)

Conclusion des articles 1 et 2.

Il existe au moins 2 prédateurs connu de « varroa destructor » que les apiculteurs peuvent utiliser comme auxiliaires dans leur lutte biologique contre varroa.

S’il y a des preuves que ces auxiliaires peuvent capturer, tuer et se nourrir de varroas, il n’y a pas de preuves, de démonstrations scientifiques qu’ils peuvent vous en débarrasser totalement … ils devraient alors déserter la ruche qui ne leur apporterait plus le « couvert ».

Il y a par contre au moins une observation de plusieurs années, celle de Geert Steelant, qui montre qu’une maîtrise du nombre de varroas réduisant leur impact spoliateur sur les abeilles peut être atteint avec stratiolaelaps scimitus dans la mesure où ses colonies vivent avec le varroa depuis 5 ou 6 ans tout en restant en bonne santé et n’ayant plus été soumises aux traitements acaricides.

 

Georges Niset

Mai 2021

 

 

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